Le loup et le chien
Vous connaissez la fable "le loup et le chien" de La Fontaine ?
La voilà:
Un Loup n'avait que les os et la peau, Tant les chiens faisaient bonne garde. Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau, Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde. L'attaquer, le mettre en quartiers, Sire Loup l'eût fait volontiers ; Mais il fallait livrer bataille, Et le Mâtin était de taille A se défendre hardiment. Le Loup donc l'aborde humblement, Entre en propos, et lui fait compliment Sur son embonpoint, qu'il admire. " Il ne tiendra qu'à vous beau sire, D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien. Quittez les bois, vous ferez bien : Vos pareils y sont misérables, Cancres, haires, et pauvres diables, Dont la condition est de mourir de faim. Car quoi ? rien d'assuré : point de franche lippée : Tout à la pointe de l'épée. Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. " Le Loup reprit : "Que me faudra-t-il faire ? - Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens Portants bâtons, et mendiants ; Flatter ceux du logis, à son Maître complaire : Moyennant quoi votre salaire Sera force reliefs de toutes les façons : Os de poulets, os de pigeons, Sans parler de mainte caresse. " Le Loup déjà se forge une félicité Qui le fait pleurer de tendresse. Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé. " Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? - Peu de chose. - Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché De ce que vous voyez est peut-être la cause. - Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ? - Il importe si bien, que de tous vos repas Je ne veux en aucune sorte, Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. " Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor. Les Fables, Livre I, Jean de la Fontaine
J'aime beaucoup cette fable, elle m'a toujours fait un peu rêver.
En 2014, j'ai quitté mon travail d'ingénieure pour enseigner le yoga à plein temps.
Je suis passée par pas mal de phases, j'ai d'abord dû apprendre à me dépouiller de la notion de succès tel qu'il est envisagé en général et tel que moi même je l'avais toujours vu. Un boulot qui paye, la sécurité, des sous, un achat de maison, une grosse voiture, etc...
Une fois ce premier lâcher prise, j'ai pu envisager mon activité de prof de yoga avec sérénité et une certaine fierté: oui, j'ai quitté ma carrière d'ingénieure pour enseigner le yoga, j'en suis plutôt fière.
Au début je touchais le chômage, j'étais plutôt relax.
J'ai découvert le plaisir de la liberté:
Travailler pour moi, monter mon propre business, faire un site internet, des flyers, etc... J'ai de la chance, ce n'est pas une torture pour moi (ce n'est pas le cas de tout le monde)
Et puis niveau yoga, pratiquer, préparer mes cours et mes playlists, etc...
Il ne faut pas se mentir, c'est bien du travail. Je n'ai jamais autant bossé que depuis que j'ai quitté le monde des entreprises. Mais le boulot me plait, dans son intégralité.
De temps en temps, j'ai peur.
La première fois que je l'ai ressentie, cette peur, je venais juste de cesser de toucher le chômage. Je donnais un cours à un horaire délicat dans un petit studio. Je commençais à compter les élèves, à me crisper quand il n'y en avait pas beaucoup.... Du coup, j'ai choisi de lâcher prise en donnant un cours complètement bénévole.
Puis petit à petit, les choses sont devenues plus simples, il a fallu moins d'efforts, j'ai pu aménager mon emploi du temps de façon à être bien et financièrement stable.
La vie à Genève est devenue simple et agréable.
Et puis rebelotte, mon mari et moi avons décidé de partir nous installer au Portugal, Genève ne nous convenait plus. Là, il a fallu abandonner une grosse partie de mes revenus, respirer à travers la peur.
Bon, la plage aide vachement, faut pas se leurrer :)
Depuis que je suis enseignante de yoga, j'ai abandonné une certaine forme de sécurité pour une grande liberté. Ce n'est pas un choix que je regrette, loin de là, mais parfois j'ai peur. Que ferais-je pour ma retraite? Que se passera-t-il si je tombe malade?
Et puis quand je parle avec des ami.e.s enseigant.e.s, nous avons tou.te.s ces peurs là.
Il y a aussi la fatigue de devoir se mettre en avant, de remplir les cours, de voyager parfois.
Parfois je me dis que tout serait plus simple avec un salaire d'ingénieure, avec des horaires de bureau, avec une maison et un chien.
Je n'ai pas de réponse à tout ça, j'oscille toujours un peu entre peur et sérénité et je fais confiance à l'Univers.
Mais quand j'ai peur, je me rappelle souvent cette phrase "Il importe si bien, que de tous vos repas je ne veux en aucune sorte, et ne voudrais pas même à ce prix un trésor."
Allez, je vous embrasse, je vais courir nue dans la forêt!
Claire