Décembre à Lesbos, méditations
Ce qui est assez intéressant, quand on passe plusieurs heures, seul(e), à observer la côte turcque alors que rien ne se passe, c'est qu'on a beaucoup de temps pour penser ou méditer.
Méditations
La nuit surtout (je fais peu de veilles de jour), le temps passe différemment. Le bruit des vagues nous berce, les étoiles au dessus de nos têtes nous accompagnent et, de temps en temps, une étoile filante traverse le ciel..
Le temps est découpé en pauses & observations, haché en tranches. On regarde la mer en niveaux de gris, puis on laisse notre place, on s'emmitoufle dans un gros manteau sur les chaises longues, on regarde le ciel en discutant. On échange des petits morceaux de nos vies, on se découvre par petites touches.
Parfois, la lumière d'une lampe frontale nous aveugle un moment.
On est interrompu régulièrement par le grésillement de voix dans la radio. "NATO warship, NATO warship, this is Frontex. Over". On écoute attentivement, on ne comprend pas tout.
On regarde passer les cargos silencieux, l'imposant navire de guerre de NATO, les garde côte hellénique et turcs qui foncent, les pêcheurs discrets.
Puis on se relaie pour dormir. A ce moment là, tout devient silence.
Chaque veille est une méditation rythmée par le bruit des vagues. La porte de la jeep claque, il est temps de passer la main.
A 5h, on reprend la voiture, on longe la mer sur la piste en terre. On rebranche les téléphones, radios, on met les piles à charger et on rédige un petit rapport sur les événements de la nuit. Puis on se glisse dans des draps gelés. Il est 6h, il est temps de dormir.
Pensées
En dehors des périodes d'accueil des réfugiés, le temps peut paraître long, et c'est pas toujours facile de passer beaucoup de temps immobile dans le froid (enfin, le froid tout relatif, vu les températures à Genève en ce moment).
Je trouve ça très rassurant de savoir qu'il y a une petite dizaine de personnes debout, toute la nuit (et le jour), qui dorment dans une voiture en buvant du thé tiède, qui préfèrent passer la nuit à regarder dans des jumelles de vision nocturne, sur un trépied, plutôt que de prendre le risque de laisser une seule personne se perdre en Méditerrannée.
Les gens ici sont étudiants, avocats, professeurs. Ils viennent d'Europe, d'Egypte, d'Australie. Ils donnent une semaine, deux, plusieurs mois de leur temps. Ils sont calmes, gentils, ouverts, passionnés. Ils sont tous là pour la même chose. Aider.
En même temps, on fait le travail que devraient faire nos gouvernements. On compense l'echec immense de la politique d'accueil de l'Europe. On n'est pas tellement fières, on se sent un peu impuissants (mon prochain post sera dédié aux moyens d'aider) !
Je réflechis beaucoup à l'effort de groupe. Même s'il n'y a pas de bateau 90% du temps, quand une personne a repéré un bateau, c'est au temps collectif qu'on a tous passé à guetter à tous les autres moments qu'elle le doit.
C'est la somme du temps passé par chacun, à différents endroits de la côte et à différents moments qui nous permet d'atteindre notre but à tous.
C'est l'ultime lâcher prise sur le résultat immédiat, juste être là, au cas où...
Photos de ce post par Fionn, pendant une veille de nuit: http://www.fionnmacarthur.com/
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